La plupart des activités scientifiques conduites à Iglobes s’inscrivent dans des programmes collaboratifs internationaux, financés sur appels à projets. Comme l’atteste le nombre élevé de délivrables, cette dynamique a démontré son efficacité et sa productivité. Mais pour éviter que ces initiatives – et leurs participant·e·s – ne s’isolent dans des opérations trop séparées, pour encourager le dialogue scientifique et les synergies collaboratives, et pour renforcer l’interconnaissance, les échanges et le sentiment d’appartenance institutionnelle, nous avons souhaité réorganiser nos axes scientifiques selon trois nouvelles directions : 1. Sciences critiques de l’environnement ; 2. Mesures, modèles, expériences ; 3. Dialogue transdisciplinaire. Ces trois axes ont été définis autour de « problèmes scientifiques », d’enjeux et de méthodes – plutôt que d’objets spécifiques ou de thématiques particulières. Ils permettront aux chercheur·e·s d’exprimer leurs propres approches de la thématique générale de l’unité, « Vies et vivants – crises, futurs, évolutions ».
Ce premier axe, dirigé par Sébastien Roux (CNRS), vise à offrir un espace de dialogue sur la crise (ou les crises) environnementale(s) et la manière dont elles impactent les vies humaines. Combinant approches qualitatives et quantitatives, il se donne pour objectif non seulement de documenter les évolutions radicales que connaissent les milieux, mais aussi – et surtout – d’articuler ces connaissances à une compréhension fine de leurs conséquences sociales, morales et politiques. Cet axe veillera à concilier les approches plus pragmatiques des bouleversements écologiques (développement d’une expertise accompagnatrice des transitions, mise en place de nouveaux outils de compréhension et d’action, valorisation d’initiatives locales, développement de partenariats, etc.) avec des réflexions plus théoriques et systémiques (lectures de l’anthropocène, innovations politiques, nouveaux régimes d’affectivité, formes de vies en crise, etc.).
Tout en maintenant une ouverture transdisciplinaire, cet espace sera davantage orienté vers les sciences sociales – et en particulier la géographie, l’anthropologie, l’histoire et la sociologie avec lesquelles les relations entre le CNRS et l’Université d’Arizona sont déjà anciennes et développées. Il accueillera en priorité les étudiant·e·s et les chercheu·r·es en séjour à Iglobes qui relèvent des sciences sociales. Enfin, le nouveau ou la nouvelle direct·eur·rice adjoint·e qui succédera à Sébastien Roux durant le quinquennal – et qui sera issu·e a priori de l’INSHS – bénéficiera à son arrivée d’un espace identifié, à la fois identifié et souple, dans lequel il ou elle pourra inscrire ses propres travaux et bénéficier des échanges déjà constitués.
Ce second axe, dirigé par Régis Ferrière (UA et ENS-PSL), s’inscrit dans la continuité des travaux développés dans l’IRL autour des thèmes de la sustainability et de la résilience, à la croisée des sciences écologiques et sociales, dans une approche alliant observation, modélisation et expérimentation. L’enjeu consiste à mieux comprendre la dynamique des environnements dans l’ensemble des dimensions affectant directement ou indirectement les populations humaines ; d’analyser et quantifier la perception par les individus des ces dynamiques environnementales ; d’élucider les mécanismes (cognitifs, comportementaux, collectifs) par lesquels la perception influence l’action ; et enfin de développer des approches prédictives permettant d’évaluer les conséquences (rétroactions) du comportement sur l’environnement, à différentes échelles de temps, d’espace et de structuration sociale. S’inscrivant dans la perspective ouverte par plusieurs projets menés durant la période de référence avec le soutien de la MITI, cet axe poursuivra l’objectif d’une connexion approfondie entre la mesure empirique de paramètres environnementaux et humains ; l’intégration des mesures et de la modélisation mathématique et computationnelle des processus écologiques, comportementaux et sociaux ; et l’expérimentation en conditions contrôlées. Le concept de « tipping points », ou « points de basculement », dont la pertinence dans l’analyse et la modélisation des socio-écosystèmes fut évaluée au cours de la période précédente, restera central dans ce programme. De même seront poursuivies les collaborations internationales (B2-Ecotron IleDeFrance, EMERGE Biology Integration Institute) visant à une évaluation quantitative des changements environnementaux et de leurs effets biologiques et écologiques, dans les dimensions impactant le fonctionnement des sociétés et la santé des individus.
Cet axe comporte plusieurs enjeux stratégiques :
Enfin, ce troisième axe, dirigé conjointement par Régis Ferrière et Sébastien Roux, servira d’espace prioritaire pour encourager l’interconnaissance et la compréhension mutuelle. Si Iglobes a déjà une longue tradition de collaboration transdisciplinaire, la diversité des approches scientifiques que nous accueillons se révèle un défi d’ampleur. Cet axe se donne pour objectif de mettre en dialogue les disciplines à travers l’exposition et la discussion des méthodes – voire des épistémologies – qui nourrissent nos différents travaux. Ainsi, cet espace de réflexion exposera tant les avancées scientifiques rendues possible par le dépassement des disciplines (présentation de recherches réalisées, évolution des problématiques, ajustements et innovations) que les limites (théoriques et pratiques) et les difficultés concrètes qu’il peut induire. Les travaux ainsi développés s’articuleront sur les programmes phares de l’université d’Arizona en en matière de « science of team science » et « science of convergence in research ».
Pour mener à bien son programme de recherche et affirmer son identité scientifique renouvelée, Iglobes peut s’adosser à un nombre conséquent de projets dont la poursuite ou le déploiement s’étendent sur la période quinquennale à venir. Ci-après nous en présentons brièvement cinq – lesquels, s’appuyant sur des collaborations structurantes dans l’activité de l’unité, soutiendront la dynamique de l’IRL autour de sa ligne directrice « Vies et vivants – crises, futurs, évolutions ». Ces projets se distinguent par leur nature résolument interdisciplinaire et les collaborations étroites qu’ils impliquent entre laboratoires français et université d’Arizona.
CHANGEMENT CLIMATIQUE ET RESILIENCE DES SOCIO-HYDROSYSTEMES
Ce programme de recherche propose une nouvelle approche de la relation entre les sociétés et leurs hydrosystèmes, appréhendée comme une série de connexions, déconnexions et reconnexions qui interviennent dans tous les domaines et dimensions. Ainsi, l’utilisation des cours d’eau ou des ressources hydriques crée des connexions matérielles ou symboliques, l’aménagement des déconnexions physiques (barrages) ou sociales (hydrosystèmes invisibilisés) et les politiques récentes, qui mettent l’accent sur les flux entre les différents éléments et compartiments des hydrosystèmes, insistent sur la « reconnexion » à tous les niveaux. Ces trois composantes seront analysées en utilisant le bassin versant de la Santa Cruz River comme modèle. On s’intéressera en particulier à l’effet des décisions des agriculteurs entre l’usage des eaux souterraines et des eaux de surface sur les connexions et déconnexions de ces réseaux, le rôle des seuils climatiques et sociaux, les impacts écologiques et économiques causés par ces déconnexions, leur perception sociale, et les stratégies de reconnexion des réseaux. Ce projet financé par le LabEx DRIIHM s’inscrit dans le cadre d’un programme comparatiste associant sept OHMI.
Partenaires : David Blanchon (LAVUE), Arnaud Buchs (GAEL, IEP de Grenoble), François-Michel Le Tourneau (CREDA), Sharon Megdal (UA Water Resources Research Center), Adriana Zunega (UA School of Landscape Architecture and Planning), Tom Meixner (UA Department of Hydrology and Atmospheric Sciences).
TRANSITIONS ENERGETIQUES ET RECONFIGURATIONS DES SOCIO-ECOSYSTEMES
Si le changement climatique est un élément de contexte majeur de dimension globale aux répercussions locales l’injonction à la transition énergétique qui en résulte se concrétise de manière différente selon les territoires. Les travaux sur l’impact localisé de la transition énergétique sont majoritairement de nature sectorielle et monographique. L’enjeu de ce projet, au cœur des OHM, est de dépasser ce cloisonnement, en croisant les dimensions sociales, techniques et environnementales propres à chaque socio-écosystème. L’idée d’un nexus « Société-Technique-Environnement » sera mise à l’épreuve en considérant les OHM comme des laboratoires permettant d’évaluer l’impact de la transition énergétique sur ces trois composantes. Une méthodologie intégrée permettra de caractériser la reconfiguration des socio-écosystèmes et les interactions hommes/milieux à l’œuvre dans ce cadre. L’équipe des 6 OHM « test » présente une large interdisciplinarité et rassemble les compétences nécessaires pour saisir les trajectoires de ces reconfigurations. Cette méthodologie permettrait ainsi d'observer :
Partenaires : François-Michel Le Tourneau (CREDA), Greg Baron-Gafford (UA School of Geography, Development, and the Environment), Sharon Megdal (UA Water Resources Research Center), Adriana Zunega (UA School of Landscape Architecture and Planning), Tom Meixner (UA Department of Hydrology and Atmospheric Sciences).
L'ECONOMIE EXTRACTIVE DANS LA TRANSITION ENERGETIQUE
Le déploiement des énergies revouvelables requiert de nouvelles technologies bas-carbone de production, stockage et transport, qui nécessitent de très grandes quantités de métaux « stratégiques ». L’objectif général de ce projet est de mettre en évidence en quoi les métaux des technologies bas-carbone constituent une ressource naturelle stratégique d’une importance cruciale, aux multiples enjeux économiques pour les pays qui en disposent, tant à court terme qu’à plus long terme. On s’intéressera ici au cas du cuivre et à son exploitation dans l’état d’Arizona (l’un des premiers producteurs mondiaux). On analysera comment le contexte financier et politique international de l’exploitation des métaux stratégiques influence le développement régional de cette industrie extractive et contraint les politiques publiques locales de transition environnementale et de développement durable ; et comment en retour la dynamique socio-économique et environnementale régionale de l’extraction des métaux stratégiques se répercute sur l’économie et la finance de la transition énergétique aux échelles nationales et internationales. Ce projet est déployé autour d’un contrat doctoral à mobilité internationale de l’InSHS.
Partenaires : Valérie Mignon (EconomiX), Mary Poulton (UA School of Mining and Geological Engineering), Brad Ross (UA School of Mining and Geological Engineering).
CHANGEMENT CLIMATIQUE ET NOUVEAUX ENJEUX DE SANTE PUBLIQUE
L’approche OneHealth est au cœur des programmes de recherche de l’UA à l’interface santé/environnement. Dans le cadre du Défi Majeur relevé par le CNRS, avec le soutien de la MITI, l’IRL accueillera à partir d’octobre 2022 une thèse de doctorat sur les interactions entre changement climatique, santé des écosystèmes et santé humaine. Ces travaux seront conduits en étroite collaboration avec le UA College of Public Health et l’IRL LN2 à l’université de Sherbrooke.
Le Sud-Ouest des Etats-Unis subit de plein fouet les effets du changement climatique (vagues de chaleur, sécheresse, incendies, inondations) tout en étant l’objet de pressions environnementales locales d’urbanisation et d’exploitation minière parmi les plus fortes à l’échelle planétaire. L’IRL analyse ces transformations qui soulèvent de nouveaux enjeux de santé publique, dans un contexte de fortes inégalités socio-économiques, trans-culturelles et trans-frontalières. Cet axe de recherche interrogera la perception des risques environnementaux émergents (en particulier l’exposition aux fortes chaleurs, les contaminations par les poussières et les maladies infectieuses vectorielles), la façon dont ces risques sont pris en compte dans les politiques publiques, et les conséquences de ces risques et de leur perception sur les comportements individuels face au changement climatique. Pour cela, différentes zones-modèles seront analysées et comparées : sites urbains et périurbains concentrant populations humaines et activités minières (Tucson, Green Valley), sites ruraux (exemple d’Avra Valley), protégés (exemples de la Cienegas National Conservation Area et du Saguaro National Park) et restaurés (sites du Superfund Research Center). Cet axe sera développé en collaboration avec l’IRL Nanotechnologies and Nanosystems (LN2) à l’Université de Sherbrooke pour le développement et le déploiement de capteurs environnementaux de nouvelle génération. Les travaux, lancés en 2022-23 autour d’un contrat doctoral à mobilité internationale financé par la MITI, sont appelés à se développer beaucoup plus largement dans le cadre du Défi Santé & Environnement.
Partenaires : Régis Ferrière (Iglobes), Bernard Cazelles (IBENS), Frédéric Keck (LAS), Céline Verchère (LN2), Heidi Brown (UA Epidemiology and Biostatistics Department), Kacey Ernst (UA Epidemiology and Biostatistics Department), Melissa Furlong (UA Community, Environment and Policy Department), Mona Aurora (UA Community, Environment and Policy Department), Chris Lim (UA Community, Environment and Policy Department), Rana Maier (UA Environmental Science Department), Ladd Keith (UA School of Landscape Architecture and Planning), Franck von Hippel (UA Community, Environment and Policy Department).
FINS, PERTES, DISPARITIONS
La crise environnementale est aussi une crise sociale, morale et politique. Effondrement de la biodiversité, vagues de chaleur, fonte des calottes polaires, désertification, acidification des sols… Nos connaissances quant à la transformation radicale des milieux annoncent un devenir catastrophique, voire apocalyptique. Comment vivre dans un monde que l’on annonce mourant ? Comment les sociétés humaines sont-elles impactées par la perspective d’un futur absent ? Comment les individus ressentent, pensent et agissent dans un univers que l’on pense de plus en plus condamné ? Or, si la fin, ou plutôt les fins, s’imposent comme un horizon menaçant, comment sont-elles anticipées et qu’induisent-elles dans nos sociétés ? Ce projet entend articuler deux volets complémentaires. (1) Une approche empirique des nouvelles pratiques et des nouveaux discours liés à la probabilité croissante de la catastrophe, de la disparition, voire de l’extinction, et à leurs implications politiques. (2) Une analyse socio-historique de la rationalité solutionniste, et ses implications dans la formulation de projets technologiques à dimension salvatrice.
Partenaires : Sébastien Roux (CNRS), Arnaud Saint Martin (CNRS), Janelle Lamoreaux (UA School of Anthropology), Mathieu Hikaru Desan (University of Colorado, Department of Sociology), Jean Chamel (Université de Genève).